L’intelligence artificielle bouscule le droit : les avocats entre opportunités et défis

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Maître Sonet, avocat spécialiste en droit des sociétés, est également responsable de l’incubateur des start-up IA du barreau de Paris. Il a accepté de nous éclairer sur les impacts concrets de l’intelligence artificielle générative sur la profession d’avocat.

Il exerce au sein du cabinet Valmy Avocats, fondé par Barthélemy Lemiale. Ce cabinet full services en droit des affaires incarne le dynamisme et l’agilité d’une profession en pleine mutation. Il regroupe dix associés et vingt collaborateurs, tous engagés dans une pratique innovante du droit.

Au-delà de son expertise technique, Maître Sonet joue un rôle actif dans la transformation du secteur grâce à son engagement au sein de l’Incubateur du Barreau de Paris (IBP). Ce lieu unique accompagne des Legaltech et des start-up qui façonnent l’avenir des métiers juridiques grâce à l’intelligence artificielle. « L’incubateur joue un rôle clé pour démocratiser l’accès aux outils IA et permettre aux cabinets d’innover, même sans ressources démesurées », explique-t-il.

Une culture du renouvellement des compétences

L’obtention par Maître Sonet de la spécialité en droit des sociétés – une certification rare et exigeante attribuée par le Conseil National des Barreaux – illustre l’importance du renouvellement des compétences. Cette spécialité impose une formation continue renforcée et un engagement constant à se maintenir au plus haut niveau technique. L’arrivée massive des outils d’IA et des nouvelles technologies va intensifier l’exigence d’adaptation des compétences en continu, y compris pour les avocats chevronnés.

Selon Maître Sonet, les jeunes avocats ont un rôle crucial à jouer : « Ils connaissent mieux que nous les outils et savent compter avec les nouvelles technologies. » Ces profils apportent non seulement leur maîtrise des technologies mais aussi un regard neuf et une agilité qui permettent aux cabinets de rester compétitifs. Leur contribution est d’autant plus essentielle qu’ils participent aussi à la conception de solutions innovantes, comme ces jeunes fiscalistes impliqués dans le projet de recalcul automatique des taxes foncières.

L’IA générative et ses impacts sur les pratiques juridiques

L’un des constats majeurs dressés par Maître Sonet est l’impact radical de l’IA générative sur les pratiques juridiques. Grâce à ces outils, la relecture de contrats, l’analyse des risques, la synthèse de rapports ou même la rédaction de clauses sont désormais réalisées en quelques secondes. « C’est un véritable gain de temps, mais aussi un bouleversement de notre modèle », admet-il.

Les outils concrets ne manquent pas : « Doctrine » pour la recherche jurisprudentielle, logiciels métiers dotés de fonctionnalités avancées, et même des partenariats négociés par le Barreau de Paris pour garantir à tous l’accès aux meilleures technologies, souhait fort du Bâtonnier Pierre Hoffman. Ces outils permettent non seulement d’améliorer l’efficacité mais aussi de garantir une meilleure qualité et une sécurisation des processus.

Cependant, cette transformation n’est pas sans conséquence : les tâches facturables se réduisent, mettant sous pression les revenus des cabinets. Maître Sonet en est conscient : « Si demain on ne peut plus facturer le temps passé sur ces tâches, il faudra trouver d’autres leviers. » Cela passe par une montée en gamme des prestations, une réorientation vers des missions de conseil stratégique et de négociation, mais aussi par une réévaluation des modèles de facturation.

Vers de nouveaux services et modèles

L’innovation n’est pas qu’un mot d’ordre : elle se traduit déjà par de nouvelles offres. Plateformes collaboratives pour gérer des contentieux de masse (comme dans les litiges post-Covid contre les assureurs), outils automatisés pour recalculer des taxes foncières, ou encore projets liés aux cryptomonnaies sont autant d’exemples cités par Maître Sonet.

Mais cette effervescence se heurte aux barrières déontologiques et capitalistiques. « Le droit français interdit que nos cabinets soient détenus à 100 % par des fonds extérieurs », rappelle-t-il. Cela limite la capacité des structures à lever des fonds massifs pour investir dans la technologie, contrairement à ce qui peut se voir dans d’autres secteurs. Pourtant, l’agilité des jeunes structures et leur capacité à proposer des prix compétitifs pourraient bien redistribuer les cartes dans les années à venir.

Lire l’article « IA et juridique : Une révolution jugée avec optimisme »

Les enjeux techniques et éthiques de l’adoption de l’IA

Si l’IA générative ouvre des perspectives prometteuses, elle soulève aussi des défis majeurs. La sécurisation des données est un enjeu central, d’autant que les cabinets traitent des informations hautement confidentielles. Maître Sonet insiste : « Le risque cyber n’est pas couvert par nos assurances actuelles, et il faudra investir massivement. » La montée en puissance des dépenses IT – abonnements, cybersécurité, équipements – est inévitable, notamment à mesure que l’utilisation de l’IA s’intensifie.

Au-delà de la technique, c’est l’éthique de la profession qui est en jeu. Lutter contre l’exercice illégal du droit, comme dans le cas de cette application utilisant une IA générative pour délivrer des conseils juridiques sans autorisation, est un combat prioritaire pour le Barreau et ses membres. Car derrière la machine, il faut préserver la responsabilité, la confidentialité et l’indépendance, valeurs fondamentales de la profession.

Un cadre européen et international en évolution

La mutation du secteur juridique ne se joue pas seulement à l’échelle nationale. Maître Sonet souligne que le cadre européen et international évolue, avec des approches divergentes selon les pays. « Le droit n’est pas réglementé partout de la même manière, certains systèmes sont plus ouverts que d’autres », explique-t-il. Si le droit anglo-saxon a longtemps dominé, notamment dans les négociations internationales, l’Europe cherche à harmoniser ses règles tout en préservant ses spécificités, dans un contexte marqué par les tensions géopolitiques et économiques.

Un équilibre entre innovation et valeurs humaines

L’IA générative n’est ni un simple gadget ni une fatalité : elle transforme en profondeur les métiers du droit. Maître Sonet en est convaincu : le futur des avocats passe par une adaptation agile, mais aussi par une affirmation des valeurs humaines. Stratégie, négociation, accompagnement personnalisé, compréhension fine des enjeux restent le socle du métier.

Le Barreau de Paris, à travers son incubateur, montre la voie en soutenant l’innovation tout en défendant l’intégrité de la profession. Dans ce nouvel écosystème, seuls les cabinets capables de marier technologie et humanité parviendront à prospérer.

Lire la newsletter « L’IA pour le sens critique : De l’assistance à la prothèse »

Exemples de Legaltech incubées par l’Incubateur du Barreau de Paris (IBP) :

Au-delà de l’impact direct sur les cabinets traditionnels, l’incubateur du Barreau de Paris joue un rôle moteur en accompagnant l’émergence de legaltechs innovantes.

Ces start-ups redéfinissent les contours de la pratique du droit, en développant des outils qui automatisent certaines tâches juridiques, favorisent l’accès aux services ou encore facilitent la collaboration entre avocats. 

Voici quelques exemples concrets de ces nouvelles initiatives qui préfigurent le cabinet du futur :

Mes-Droits : Un simulateur pour connaître sa taxe foncière réelle et engager une procédure contre l’État en cas d’écart avec l’avis d’imposition.

SWIM : Plateforme dédiée à la mise en relation entre avocats freelance et cabinets ou directions juridiques.

LAWXER : Outil d’analyse automatisée des contrats avec génération d’un JURI-SCORE pour évaluer le niveau de risque.

LAWCATION : Application facilitant l’entraide entre confrères pour la substitution sur dossier.

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