Depuis la tronçonneuse argentine jusqu’au 49.3 national, en passant par le DOGE à la hussarde d’Elon Musk, est-ce que l’IA pourrait être ce levier d’efficacité qui permettrait aux pouvoirs publics de réduire les déficits sans réduire les services, et dans le consensus ? Municipalité, santé, judiciaire, militaire, économique… Panorama express de ce que l’IA pourra apporter, et apporte déjà, aux politiques publiques.

Les politiques annoncent…
IA et services publics : Paris consulte…
La ville utilise déjà l’IA pour relever les déchets et dégradations dans les rues, retranscrire des appels téléphoniques, régler les feux de circulation… Et possède son propre data center.
« Il ne s’agit pas de glisser de l’IA dans tous les services municipaux, mais de se demander à quoi elle peut servir dans notre administration », explique Pénélope Komités adjointe à la Maire chargée de l’innovation.
Pour ce faire, la Ville de Paris a commandé un benchmark de ce qui se pratique ailleurs en Europe, a auditionné des think tanks, et mené une consultation auprès de 400 concitoyens pour sonder leurs attentes : améliorer les services aux usagers, la mobilité, les démarches administratives, la santé, l’urbanisme… tout en sécurisant les données personnelles. On a aussi écouté les inquiétudes : des dérives dans les domaines de la sécurité, de la culture et de l’éducation.
C’est au mois de mai que nous aurons les premières conclusions de cette quête, qui accompagneront les réflexions de la Ville quant à la création d’un incubateur dédié à l’IA, pour répondre au plus près à ses besoins. À l’échelle du Grand Paris, c’est un « Club IA » qui est envisagé, pour que les élus partagent expérience et bonnes pratiques.
… le Royaume-Uni veut économiser…
53 milliards d’euros par an ! C’est ce que font perdre les outils jugés archaïques qu’utilise l’administration britannique, et dans lesquels de l’intelligence artificielle va être introduite. Le système a été développé par une équipe du ministère de le Science, de l’Innovation et de la Technologie.
Parmi les multiples applications annoncées, l’analyse des réponses aux enquêtes publiques, actuellement sous-traitée à des consultants privés, « qui peuvent prendre des mois… avant de facturer 100 000 £ ». La transcription pour les réunions, l’aide à la préparation de briefing, l’assistance juridique… sont d’autres lames de ce couteau suisse administratif, qui va être accompagné d’un plus large partage des données entre administration et collectivités territoriales.
Avec cette dynamique publique, l’objectif plus large est de faire du Royaume-Uni un champion mondial de l’IA, en attirant les grandes entreprises et talents du secteur, promettant une plus grande flexibilité règlementaire que l’Union européenne.
… les USA « cancellent ».
Des opposants à la brutale politique du DOGE demandent des comptes sur l’utilisation de l’IA dans la chasse aux économies, aux sorcières serait plus adapté, menée contre tout projet concernant la diversité et l’inclusion. Une liste de mots a été établie pour les repérer, mots à bannir également du langage officiel de l’administration.
Plus largement, l’idée a été de nettoyer aussi les archives des référencements à ces sujets. C’est ainsi que de nombreux documents ont été pointés par qu’ils comportaient le nom « Enola Gay », qui est celui du bombardier B29 qui a largué la bombe sur Hiroshima (et le nom de la mère du pilote).
Mais ce qui ressemble à l’origine à une bévue typique de l’IA n’a pas pour autant été rectifié par l’humain, et de nombreux référencement ont d’ores et déjà été effacés. Et on a émis l’idée de rebaptiser l’avion 80 ans après.
George Orwell n’est pas loin.

Certaines institutions concrétisent déjà…
L’hôpital « augmenté » pour baisser la facture.
Au CHU de Montpellier, l’IA de A à Z
Dépense publique majeure, la santé est sur le front de l’IA. À l’image du CHU de Montpellier (12 000 collaborateurs), qui mise dessus pour optimiser l’ensemble de son activité. Depuis les tâches administratives (avec des gains d’efficacité de 10 à 30 %), jusqu’au soutien au diagnostic (et non pas le diagnostic à la place du médecin), le parcours patient et la qualité des soins s’en trouvent améliorés… En s’inscrivant aussi dans l’écosystème de santé local, le tout en renforçant la cyber-sécurité, le milieu hospitalier étant une victime régulière des hackers (11% des attaques répertoriées).
L’optimisation de planning a déjà fait ses preuves
La très chronophage élaboration des plannings est un véritable boulet de l’hôpital, qui manque de bras et de temps à accorder aux patients. On observe des progrès assez spectaculaires déjà réalisés dans de nombreux établissements, avec des IA qui permettent d’établir un planning en y consacrant une heure par semaine, en place de trois heures par jours. Un moyen pour faire face à la pénurie de soignants.
Ce n’est pas pour rien que cette activité voit fleurir start-ups et levées de fonds depuis quelques années, à l’image de Hopia (3,5 M€ levés en 2024) qui booste ses logiciels de gestion RH avec de l’IA. Une vingtaine d’établissements ont déjà adopté ses algorithmes, l’entreprise compte tripler le chiffre en 2025. Avec 1342 hôpitaux publics et plus de 1500 établissements privés, le territoire a de quoi assurer l’avenir de plus d’une start-up !
Du diagnostic à l’organisation, un bel exemple d’une IA qui ne remplace en rien l’humain, mais booste son efficacité pour donner plus de place à son humanité.
Judiciaire : l’IA « Sherlock » n’est pas pour demain, mais progresse.
C’est aussi dans le domaine de la planification et de l’usage interne que les forces de l’ordre font usage de l’IA efficacement.
Côté investigation, on est loin de la révolution qui a parfois été annoncée, et de l’IA qui résout des enquêtes ou y contribue par des questionnements pertinents, façon Watson. Si des gains de temps considérables sont réalisés dans l’analyse de données de masse, des problèmes « d’hallucinations » et de biais subsistent, présentant comme certaines des informations inexactes : « Une IA trouve toujours quelque chose, même s’il n’y a rien à trouver. », entend-on au laboratoire de criminalistique numérique. Approximation que le judiciaire ne peut évidemment se permettre.
L’IA est néanmoins utilisée pour des tâches organisationnelles (comme le planning, là aussi), ou de formation, en permettant de générer des cas judiciaires et des éléments visuels qui correspondent à l’actualité, là où le secret de l’instruction empêche d’utiliser les vrais.
Pour ce qui est du travail purement policier, on se félicitera tout de même des progrès en traitement des auditions et établissements des procès-verbaux qui profitent en premier lieux aux violences intrafamiliales (100 000 heures d’audition annuelles), et à la lutte contre la pédocriminalité. L’optimisme est autorisé quant à l’apparition d’une « IA justice » efficiente.
Lire la newsletter «IA et juridique : Une révolution jugée avec optimisme»
Le chiffre : 3 500
C’est aux USA le nombre d’agences gouvernementales qui utilisent ChatGPT-Gov, soit 90 000 fonctionnaires. Cette IA est une version qui offre un accès aux plus puissants modèles, et qui garantit aussi la sécurisation des données.
Une donnée dont la progression sera à observer à la lumière de l’action du DOGE, qui veut réduire ces effectifs. Une diminution des 90 000 pourrait être le signe de sa « réussite ».
À quand un Chat-Mistral-Gouv ?

Défense, économie… des raisons de s’inquiéter ?
Au-delà du service public, les pouvoirs publics.
Quid de l’IA dans les décisions prises au plus haut niveau ? De l’économie… à la guerre.
Déléguer à l’IA l’analyse économique ?
L’arrivée de l’IA dans l’analyse économique est comme presque partout la promesse d’un gain d’efficacité appréciable. Là où les algorithmes n’étaient une aide que pour le traitement de données chiffrées, l’IA va autoriser l’analyse et la compilation de littérature économique, et décupler ainsi la capacité d’un économiste à analyser une situation.
Sachant que les analyses économiques influent sur les politiques économiques, on ne peut s’empêcher de frémir en se souvenant qu’une erreur dans un tableau Excel de deux économistes avait dans les années 2010 encouragé l’austérité, dont certains ont souffert plus que de raison. L’affaire était un peu plus subtile et si erreur il y a eu, l’article desdits économistes a surtout été un prétexte aux politiques.
L’IA n’étant pas exempte d’erreur de jugement (qu’elle n’a pas), doit-on s’inquiéter plus qu’avant ? Pas spécialement plus, mais rester vigilant, et compter surtout sur la multiplicité des avis et analyses pour se mettre à l’abri de décisions biaisées.
Le danger de la standardisation
Ce qui sera davantage à surveiller, ce n’est pas tant le risque d’erreur que le risque de standardisation des analyses, induite par l’utilisation des mêmes outils, avec les mêmes données, compilées par des IA dont le fonctionnement intrinsèque est statistique. La standardisation, c’est aussi créer des angles morts, ignorer les signaux faibles, qui sont souvent des indicateurs précieux.
Déléguer l’analyse, ou la pré-analyse, à une IA fait donc courir le risque de l’aplatissement de la diversité intellectuelle, et avec lui un assèchement de l’innovation en politique économique. Cette inquiétude n’est d’ailleurs pas réservée à l’analyse économique, et des études ont déjà pointé la diminution des capacités critiques que provoque l’abondante utilisation de l’IA.
Dont-on en éloigner nos grands penseurs ?
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L’IA est très « créative » pour éliminer l’ennemi
Ce sont les mots du Pentagone, qui vante l’efficacité de l’IA dans le processus qui mène à la destruction d’une cible, la « chaîne d’élimination » : détection, évaluation, suivi et enfin destruction. L’IA permet d’une part d’accélérer les premières phases, mais serait aussi tout à fait « créative », dixit Radha Plum, le Mr IA du Pentagone, quand il s’agit de faire des propositions pour détruire les cibles. Ses capacités de simulation offrent un panel de scénarios aux forces armées qui jugeront du plus adapté, une innovation qui représente un tournant dans l’art de la stratégie, et suscite aussi des débats éthiques.
Le Pentagone assure cependant que la décision finale appartient à l’humain, de même qu’aucune arme autonome n’est utilisée. Côté français, si personne n’a employé le terme maladroit de créatif, le travail de Thales sur une IA en soutien décisionnel aux militaires est tout à fait comparable.