L’administration Trump a présenté mercredi dernier les étapes qu’elle entend suivre pour garantir la « domination mondiale de l’IA » des États-Unis. Ce plan d’action national pour l’intelligence artificielle vise à réduire drastiquement les réglementations afin d’accélérer le développement des technologies d’IA et de l’infrastructure énergétique et industrielle qui les soutiennent.
Si ce plan repose sur une série de recommandations non contraignantes, Donald Trump a d’ores et déjà signé trois décrets exécutifs pour en enclencher l’exécution. Fidèle à la ligne de conduite adoptée ces derniers mois, l’administration entend libérer l’innovation technologique, faire des États-Unis un leader face à la Chine, et donner la priorité à la construction d’usines, de centres de données et de centrales de production d’énergie – quitte à contourner les normes environnementales existantes.
Profitant de l’élan impulsé par ChatGPT depuis 2021 et l’explosion des investissements dans l’IA générative, Donald Trump a déclaré :
« Mon administration utilisera tous les leviers à sa disposition pour permettre aux États-Unis de bâtir et maintenir l’infrastructure IA la plus puissante de la planète. »
Déréglementation massive de l’infrastructure IA
Le plan mise sur une croissance accélérée des capacités industrielles nécessaires à l’IA, en particulier la construction de usines de semi-conducteurs, de data centers, et de sources d’énergie pilotables. Ces infrastructures sont aujourd’hui essentielles, alors que les data centers américains consomment déjà 2,5 % de l’électricité totale des États-Unis, un chiffre qui pourrait doubler d’ici 2030 avec la montée en puissance de l’IA générative.
Pour soutenir cette expansion, le plan propose d’exempter les projets liés à l’IA de certaines normes environnementales, notamment celles protégeant l’eau et l’air. Il prévoit également l’ouverture de terres fédérales à la construction de centres de données et de centrales énergétiques. Afin d’éviter les coupures ou pénuries, il suggère de prolonger la durée de vie de centrales nucléaires et à charbon, tout en facilitant la connexion de nouvelles sources telles que la fission et fusion nucléaire ou la géothermie avancée.
Plusieurs associations, dont Climate Justice Alliance, dénoncent une approche qui, selon elles, consolide le pouvoir des grandes industries au détriment des protections sociales et environnementales. Elles y voient un alignement stratégique entre les géants technologiques et les secteurs énergétiques traditionnels, affaiblissant les droits des communautés et accélérant l’empreinte carbone au nom de la souveraineté technologique.

Alléger les règles autour de l’IA
Même si le Congrès a rejeté l’idée d’une suspension fédérale des lois locales encadrant l’IA, le plan maintient une volonté claire de déréglementation. Il recommande aux agences fédérales de réexaminer leurs règlements pour s’assurer qu’aucune règle ne freine l’innovation en matière d’IA. Le gouvernement orientera également ses financements vers les États jugés « favorables » au développement de l’IA.
Les enquêtes passées de la Federal Trade Commission (FTC) seront également revues afin d’écarter toute jurisprudence qui pourrait peser sur l’essor du secteur. Cette orientation suscite l’inquiétude de nombreuses associations de défense des consommateurs : près de 47 % des projets IA en entreprise échouent en partie à cause de cadres réglementaires flous ou trop rigides. Consumer Reports rappelle par ailleurs que les entreprises ont une obligation de vigilance lorsqu’elles conçoivent des systèmes susceptibles d’être utilisés à mauvais escient.
Contrôle idéologique et modèles de langage
Le plan inclut aussi des mesures concernant le contenu des modèles de langage. Il propose que seuls les fournisseurs garantissant que leurs systèmes sont « exempts de biais idéologique descendant » puissent travailler avec les agences fédérales. Il appelle à retirer les mentions de diversité, d’équité, d’inclusion et de changement climatique des documents stratégiques comme le cadre de gestion des risques de l’IA du NIST (National Institute of Standards and Technology).
Cette clause vise directement des modèles comme Grok, le chatbot développé par xAI d’Elon Musk, récemment critiqué pour ses propos discriminatoires. Le gouvernement a par ailleurs attribué des contrats de 200 millions de dollars à des entreprises telles qu’Anthropic, Google, OpenAI et xAI pour des solutions IA fédérales.

Anticiper les transformations du travail
L’administration reconnaît que l’IA va profondément transformer les emplois dans tous les secteurs. Le plan propose la création d’un AI Workforce Research Hub sous l’égide du Département du Travail, chargé de surveiller les évolutions du marché de l’emploi, en lien avec le Bureau of Labor Statistics et le Census Bureau. Les métiers techniques comme les électriciens, techniciens HVAC ou ingénieurs data center seront particulièrement ciblés.
On estime que jusqu’à 30 % des emplois actuels pourraient être automatisés d’ici 2030, rendant cruciale l’adaptation des compétences et la formation continue.
Plus d’IA dans l’administration publique
Enfin, le gouvernement prévoit d’intensifier l’usage de l’IA dans la sphère publique. Un programme d’échange de talents permettra aux spécialistes IA de travailler temporairement dans d’autres agences. La General Services Administration (GSA) mettra à disposition une boîte à outils de modèles IA mutualisés, facilitant leur adoption dans les services fédéraux.
Le Département de la Défense bénéficiera d’un environnement virtuel d’expérimentation pour les systèmes autonomes et l’IA militaire. Le budget IA du Pentagone est estimé à 2,4 milliards de dollars en 2024, en hausse de 33 % par rapport à l’année précédente, signe d’un investissement massif dans la défense algorithmique.
Vers une course sans boussole ?
En faisant fi des considérations écologiques et sociales, les États-Unis s’élancent tels un lièvre éperdu, dopé à l’énergie fossile, dans une course effrénée pour la suprématie de l’IA. Ils multiplient les fermes de serveurs et les usines de puces-toutes dépendantes du charbon et du nucléaire-alors même que l’entraînement d’un seul grand modèle de langage peut générer plusieurs centaines de tonnes de CO₂ en quelques semaines. Cette stratégie du « toujours plus vite, toujours plus gros » ne fait pas qu’exploser le bilan carbone : elle concentre richesse et savoir-faire entre les mains d’une élite IA hyperformée, laissant pour compte des millions de travailleurs démunis face aux mutations fulgurantes de leur métier.
Pendant ce temps, l’Europe avance à la manière d’une tortue méthodique, s’appuyant sur l’AI Act, les audits de biais et la transparence réglementaire. Salutaire pour protéger droits et environnement, cette prudence encadre chaque innovation, mais peut aussi virer à l’inertie : dans un monde où les cycles d’innovation se déploient en quelques mois, attendre trop longtemps revient à prendre du retard durablement. À moins d’injecter à sa démarche une dose d’agilité et d’expérimentation contrôlée, l’Europe risque de voir le lièvre américain filer seul vers la ligne d’arrivée, inscrivant une nouvelle hégémonie technologique avant même d’avoir pu réagir.

Conclusion
Finalement, ce plan d’action pose les bases d’une guerre de modèles : d’un côté, les États-Unis, entreprenants et audacieux, misant sur une accélération sans concession, convaincus que leur avantage de vitesse justifie la remise en cause des normes environnementales et sociales. Leur pari ? Que la puissance industrielle et la déréglementation massive leur permettront d’asseoir une hégémonie technologique durable. De l’autre, l’Europe, prudente et rigoureuse, choisit de mettre l’éthique et la durabilité au cœur de sa stratégie IA, consciente que chaque algorithme doit respecter l’humain et la planète, quitte à sacrifier temporairement sa vitesse d’innovation. Par ailleurs, dans un autre registre la Chine propose une autre voie, qui avance vite, mais avec une transparence limitée et une gouvernance focalisée sur l’objectif politique, plus que sur la soutenabilité globale.
Dans une optique plus occidentale, ni la « fuite en avant » ni la « prudence excessive » ne garantissent à elles seules le succès. Les États-Unis peuvent légitimement revendiquer leur droit de jouer la carte de l’audace -et ils pourraient bien avoir raison à court terme, leur récente victoire de l’Union européenne sur la question des droits de douane l’illustre à merveille . Mais sans ancrage social ni horizon écologique, cette course technologique risque de se retourner contre eux. Quant à l’Europe, son obsession du cadre et du contrôle, si elle n’est pas tempérée par une volonté d’expérimentation mesurée, pourrait l’enfermer dans une lenteur réglementaire et l’empêcher de saisir des opportunités décisives.
La véritable victoire reviendra à ceux qui sauront conjuguer entrepreneuriat et responsabilité, vitesse et durabilité, innovation et inclusion. Car c’est dans ce délicat équilibre, où la flamme de l’audace rencontre le phare de l’éthique, que naîtra une intelligence artificielle à la fois puissante, respectueuse et partageable, capable de porter l’humanité plus loin sans abandonner ses principes.